19 août 2025
Les fraudes au virement : quand la technologie devient l’arme des cybercriminels
Les virements bancaires rythment aujourd’hui la vie des entreprises françaises. Pourtant, cette facilité d’usage cache une réalité préoccupante : en France, une entreprise sur deux subit au moins une tentative de fraude au virement chaque année. Cette forme de cybercriminalité, en constante évolution, représente aujourd’hui l’une des menaces les plus sérieuses pesant sur la sécurité financière des organisations, toutes tailles confondues.
L’ampleur du phénomène : des chiffres qui interpellent
Un contexte national alarmant
Les dernières statistiques publiées par l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement (OSMP) de la Banque de France dressent un tableau nuancé mais préoccupant de la fraude au virement en France. Le montant de la fraude au virement est globalement stable (– 0,5%) à 312 millions d’euros en 2023, alors que le volume des transactions frauduleuses progresse de 18%. Cette tendance révèle une professionnalisation accrue des cybercriminels qui multiplient les tentatives, même si l’efficacité des mesures de sécurité limite l’impact financier global.
La progression des virements instantanés, qui représentent désormais 6 % du nombre de virements émis, s’accompagne heureusement d’un taux de fraude maîtrisé. Le taux de fraude sur le virement instantané apparait comme tout à fait maîtrisé, à 40 € de fraude pour 100.000 € de paiement : il reste à un niveau toujours inférieur à celui de la carte (54 € / 100.000 €).
Une typologie de fraude en constante évolution
L’analyse des techniques employées révèle deux modes opératoires principaux qui se partagent les préjudices financiers. Les fraudes par manipulation (notamment au faux conseiller bancaire) pour conduire la victime à valider de faux ordres de virement (43% des montants fraudés), et de l’autre, les fraudes par détournement dans lesquelles le fraudeur va modifier une facture ou un ordre de virement existant.
Cette diversification des méthodes s’accompagne d’une sophistication technique remarquable. En 2024, les attaques de phishing et d’ingénierie sociale ont atteint un niveau de sophistication inédit. Les cybercriminels utilisent l’intelligence artificielle et le machine learning pour créer des campagnes de phishing personnalisées et ciblées, rendant la détection de plus en plus complexe pour les victimes potentielles.
Les techniques de fraude décryptées
Le phishing : l’hameçonnage perfectionné
Le phishing, ou hameçonnage, constitue la porte d’entrée privilégiée des cybercriminels. La fraude par phishing consiste à envoyer des emails frauduleux pour obtenir des informations de compte bancaire. Les fraudeurs envoient de faux courriels prétendant provenir d’institutions financières légitimes, invitant les destinataires à cliquer sur un lien et à entrer leurs informations de compte.
Cette technique s’affine constamment. Les criminels développent désormais des campagnes de « spear phishing », ciblant spécifiquement certains profils au sein des entreprises. Les e-mails de spear phishing sont difficiles à distinguer des e-mails légitimes, car les fraudeurs les rendent très réalistes et établissent souvent une relation de confiance avec leur cible.
L’ingénierie sociale : la manipulation psychologique
L’ingénierie sociale représente l’art de manipuler les individus pour obtenir des informations confidentielles ou des actions spécifiques. L’ingénierie sociale est une technique de fraude qui consiste à manipuler la victime pour l’inciter à divulguer des informations confidentielles. On estime qu’elle est responsable de 98% des cyber attaques.
Les cybercriminels exploitent particulièrement les émotions humaines. Les cybercriminels avertis savent que les techniques d’ingénierie sociale auront plus d’impact lorsqu’elles font appel aux émotions humaines. Il est beaucoup plus facile de tirer parti des émotions humaines que de pirater un réseau ou de rechercher des failles de sécurité. L’urgence, la peur et l’autorité constituent leurs leviers de prédilection.
La fraude au président : l’usurpation d’autorité
Particulièrement redoutable, la fraude au président, aussi appelée FOVI (Faux Ordre de Virement International), consiste à récupérer indûment de l’argent devant être versé à un tiers légitime. Il s’agira d’une demande urgente, prétendument validée en haut lieu (par ex. par le président-directeur général lui-même) et incitant dans l’urgence, un employé, à faire un règlement sans délai.
La substitution d’IBAN : l’interception silencieuse
Cette technique particulièrement vicieuse exploite la confiance dans les échanges électroniques. Le scénario de fraude par substitution d’IBAN, comme celui jugé par la Cour de cassation en 2024, repose presque toujours sur un même point faible : la confiance excessive dans les échanges par email. Un escroc intercepte une conversation par email (suite à une cyberattaque de type phishing, par exemple) et modifie le RIB dans un PDF joint ou dans le corps du message.
Précautions indispensables pour les salariés
Développer une vigilance constante
La première ligne de défense contre les fraudes au virement réside dans la vigilance de chaque collaborateur. Avant tout virement, plusieurs réflexes doivent devenir automatiques. La vérification systématique de l’identité de l’expéditeur d’un email constitue un prérequis fondamental, particulièrement lorsque celui-ci contient des demandes financières ou des modifications de coordonnées bancaires.
L’examen attentif des adresses électroniques s’avère crucial. Les fraudeurs utilisent souvent des domaines similaires à ceux des entreprises légitimes, avec de subtiles modifications difficiles à détecter lors d’une lecture rapide. La présence de fautes d’orthographe, d’un ton inhabituel ou d’une urgence excessive dans un message doit immédiatement éveiller les soupçons.
Adopter le principe de vérification systématique
Aucune demande de virement ou de modification de coordonnées bancaires ne devrait être traitée sur la seule base d’un email, même s’il semble provenir d’une source fiable. Le contre-appel est probablement la meilleure méthode, dans la mesure où elle est suffisamment fiable et reste à la portée de tous, du freelance à la multinationale. Dès qu’un fournisseur communique un nouveau RIB ou modifie ses coordonnées bancaires, l’entreprise devrait appeler un contact connu, via un numéro déjà vérifié, pour valider l’information.
Cette vérification doit s’effectuer via un canal de communication différent de celui utilisé pour la demande initiale. Si la demande arrive par email, la confirmation doit se faire par téléphone, et inversement. L’utilisation d’un numéro de téléphone figurant dans les bases de données internes, et non celui mentionné dans l’email suspect, constitue une précaution élémentaire mais efficace.
Reconnaître les signaux d’alarme
Certains éléments doivent systématiquement déclencher une procédure de vérification renforcée. L’urgence excessive constitue l’un des indicateurs les plus fréquents. Les fraudeurs exploitent la pression temporelle pour court-circuiter les procédures de contrôle habituelles. Toute demande présentée comme « confidentielle » ou devant rester « discrète » doit également susciter la méfiance.
Les modifications de dernière minute, les demandes de virements vers de nouveaux bénéficiaires ou vers des comptes situés dans des pays inhabituels pour l’activité de l’entreprise constituent autant de signaux d’alerte. De même, les demandes émanant prétendument de la direction générale mais ne respectant pas les canaux de communication habituels doivent faire l’objet d’une vérification immédiate.
Sécuriser ses pratiques informatiques
Au-delà de la vigilance comportementale, l’adoption de bonnes pratiques informatiques s’avère indispensable. La mise à jour régulière des logiciels et systèmes d’exploitation permet de corriger les failles de sécurité exploitées par les cybercriminels. L’utilisation d’antivirus performants et régulièrement actualisés constitue une protection de base.
La gestion rigoureuse des mots de passe représente un enjeu majeur. Chaque compte doit disposer d’un mot de passe unique, complexe et régulièrement renouvelé. L’utilisation d’un gestionnaire de mots de passe facilite cette démarche tout en renforçant la sécurité. L’activation de l’authentification à double facteur, lorsqu’elle est disponible, ajoute une couche de protection supplémentaire particulièrement efficace.
Mesures de protection pour les entreprises
Établir des procédures de contrôle robustes
La protection efficace contre les fraudes au virement nécessite la mise en place de procédures strictes et documentées. Tout virement sortant doit faire l’objet d’une validation par au moins deux personnes distinctes, selon le principe de la double signature. Cette mesure, bien qu’elle puisse sembler contraignante, constitue un rempart efficace contre les tentatives de fraude.
La définition de seuils de validation progressive permet d’adapter le niveau de contrôle à l’enjeu financier. Les virements de montants élevés ou vers de nouveaux bénéficiaires doivent systématiquement déclencher une procédure de vérification renforcée. Il suffit ensuite d’appliquer une règle claire, documentée et relayée par la direction : tout virement sortant doit être validé par une deuxième personne dès qu’un des critères de vigilance est déclenché (les lister de manière exhaustive : nouveau bénéficiaire, montant inhabituel, changement de RIB, etc.).
Former et sensibiliser les équipes
La sensibilisation des collaborateurs constitue l’investissement le plus rentable en matière de cybersécurité. Des formations régulières doivent être organisées pour maintenir un niveau de vigilance élevé. Ces sessions doivent présenter les dernières techniques de fraude identifiées et proposer des exercices pratiques de reconnaissance.
La mise en place de simulations d’attaques, notamment par l’envoi d’emails de phishing contrôlés, permet d’évaluer le niveau de préparation des équipes et d’identifier les collaborateurs nécessitant un accompagnement spécifique. Déployez des simulations d’hameçonnage : utilisez des plateformes de simulation pour former le personnel à reconnaître les courriels de phishing et tester leur réaction. Adaptez les simulations aux différents rôles et tactiques connues.
Sécuriser l’infrastructure informatique
La protection technique constitue le complément indispensable aux mesures organisationnelles. La segmentation du réseau informatique limite la propagation d’éventuelles intrusions. Les accès aux systèmes financiers doivent être strictement contrôlés et régulièrement audités.
La mise en place de solutions de filtrage des emails permet de bloquer automatiquement une partie des tentatives de phishing. Ces outils, couplés à des systèmes de détection comportementale, peuvent identifier des patterns suspects et alerter les équipes de sécurité. La sauvegarde régulière des données et la définition de procédures de récupération en cas d’incident complètent ce dispositif de protection.
Mettre en place une gouvernance de la sécurité
La lutte contre les fraudes au virement nécessite un pilotage au plus haut niveau de l’entreprise. La nomination d’un responsable de la sécurité informatique, même à temps partiel dans les structures de taille modeste, permet de centraliser les actions de prévention et de réponse aux incidents.
La définition d’une politique de sécurité claire, régulièrement mise à jour et communiquée à l’ensemble des collaborateurs, constitue le socle de cette démarche. Cette politique doit notamment préciser les procédures à suivre en cas de suspicion de fraude et les canaux d’escalade à utiliser.
Collaborer avec les partenaires externes
La protection contre les fraudes au virement ne peut être efficace qu’avec la collaboration active des partenaires financiers. L’établissement d’un dialogue régulier avec les banques permet de bénéficier de leur expertise et de leurs outils de détection. Certains établissements proposent des services de vérification renforcée ou de notification en temps réel des opérations suspectes.
La participation aux réseaux d’information sectoriels permet de bénéficier d’une veille sur les nouvelles menaces et les bonnes pratiques. Le partage d’expérience avec d’autres entreprises, dans le respect de la confidentialité, enrichit la compréhension des risques et des moyens de s’en prémunir.
Vers une vigilance collective et durable
Face à l’évolution constante des techniques de fraude au virement, la protection efficace ne peut résulter que d’une démarche globale associant vigilance individuelle, procédures organisationnelles robustes et technologies de sécurité performantes. La Banque de France appelle les utilisateurs à rester vigilants face aux arnaques et aux sollicitations malveillantes, rappelant que la technologie seule ne saurait suffire sans l’engagement de chacun.
L’enjeu dépasse largement le seul aspect financier. Il s’agit de préserver la confiance dans les outils numériques qui constituent désormais l’épine dorsale de l’économie moderne. Chaque entreprise, quelle que soit sa taille, peut et doit contribuer à cette sécurité collective en adoptant les bonnes pratiques et en maintenant un niveau de vigilance constant face à des menaces en perpétuelle évolution.
La lutte contre les fraudes au virement s’inscrit dans une démarche de long terme qui nécessite un investissement continu en formation, en technologie et en organisation. C’est le prix à payer pour préserver la sécurité financière de nos entreprises et la pérennité de notre économie numérique.